Anne de Bretagne
1477-1514
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Jean Perréal, Portrait présumé d'Anne de Bretagne vers 1492-1495
Bibliothèque nationale de France Paris |
Ce visage juvénile d'une jeune fille de 15 ou 18 ans est touchant et sans doute assez ressemblant car tous les portraits d'elles donnent les mêmes caractéristiques. C'est un visage de jeune-fille doux, dont le traits ne sont pas très fins, ni "aristocratiques". Est-ce la douceur de ce visage qui est à l'origine de la légende de la "Duchesse en sabots", jeune femme certainement à l'écoute des malheureux de son temps par son désir de proximité avec tous et de faire le bien.
I. Etude morphologique succincte
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Jean Bourdichon, l'auteur offrant son livre
à Anne de Bretagne. Miniature du Voyage de Gênes
de Jean Marot, vers 1508.
Paris, Bibliothèque Nationale |
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Jean Bourdichon, Anne de Bretagne en prière avec ses siantes patronnes, sainte Anne, sainte Hélène et sainte Ursule.
Miniature des Grandes Heures d'Anne de Bretagne, vers 1505-1508, Bibliothèque Nationale de France, Paris |
Dans les autres portraits ou sculptures que l'on a d'elle, est repris le grand front très rond, les yeux peu abrités, le nez important et qui se retrousse en un bout charnu. Il y a peu ou pas de verticalisation-rétraction frontale ( la bouche, le nez et les yeux sont sur une protubérance). La chair est douce, pas très tonique. Ces caractéristiques morphologiques sont en corrélation avec un caractère adaptable, très réceptif et influençable, un besoin de faire plaisir pour être aimée.
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La flèche verte montre que le profil
est peu avancé devant les oreilles |
On voit peu d'aérodynamisme- rétraction latérale, la seule indication que l'on a de son profil en voyant son oreille, est son gisant, le « transi de la reine » . Ce n'est pas une femme d'action, elle ne prend pas d'initiatives, ne s'impose pas.
Nous pouvons remarquer une nette expansion affective, un nez important, à la concavité charnue émouvante. Avec les autres éléments que nous venons de décrire, elle est mue par les sentiments de façon assez enfantine, le besoin d'être aimée et d'être prise en charge dans une atmosphère de douceur familiale.
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Médaille à l'effigie d'Anne de Bretagne
par Jean et Colin Lepère, sur un modèle de Nicolas Le Clerc
et Jean Saint-Priest, exécutée pour l'entrée royale à Lyon en 1500.
Bronze. Musée du château royal de Blois
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L'étage cérébral, qui monte plus haut sur l'os frontal, est peut-être un peu épilé pour suivre la mode du temps, est aussi expansif, suivi par un étage instinctif plus étroit, à la bouche enfantine, douce et peu tenue et au modelé tendre et légèrement atone. C'est une grande rêveuse idéaliste et romantique. L'action est motivée par le besoin de faire ce qu'on lui demande pour être aimée, sans ambition ou affirmation personnelle.
II. Vie relationnelle
Nous pouvons faire l'hypothèse que c’était une femme douce et adaptative. Elle était mue par le désir d’être aimée, elle faisait sans doute tout ce qu’elle pouvait pour l’être. Jeune fille tendre et câline comme une enfant qui veut faire plaisir, elle se pliait au désir de l’autre sans en avoir de sien propre, son corps et son cœur étaient trop immatures pour cela (bouche et nez enfantin, pas suffisamment de verticalisation-rétraction frontale pour lui donner du recul et un jugement personnel réfléchi).
Par sa dominance affective, son moteur principal était l’affectivité. C'était d’abord une femme qui vivait au milieu des autres, échangeait beaucoup quand elle se sentait en sécurité, joyeuse et bavarde quand elle était avec des familiers (grand triangle de communication, peu de verticalisation), timide et craintive en milieu inconnu.
Sa recherche permanente d’être acceptée (besoin d'appartenance prioritaire) devait la rendre très aimable et chaleureuse, maternelle avec ceux qui sont faibles, malades ou solitaires, faisant le bien avec naturel et chaleur de cœur. Ce qu’elle aimait, c'était créer du lien entre les personnes, aider ceux qui en ont besoin, plaire à tous ceux qui l’approchaient, naturellement, sans s’en rendre compte. Elle avait autant besoin de recevoir de l’amour que d’en donner.Son besoin d’appartenance devait lui faire rechercher les personnes qui faisaient clan autour d’elle, la protégeant et la rassurant. Elle était généreuse avec eux, cherchant toujours à faire plaisir. Elle était certainement humble par manque d’affirmation personnelle et sereine dans sa foi féérique.Son estime d’elle-même dépendait du retour positif qu'on lui faisait et en particulier de celui de sa famille. Elle faisait tout son possible pour avoir bonne conscience en obéissant aux injonctions de son éducation religieuse. Elle devait être soumise à son mari, à ses ainés et aux religieux qui l’entouraient, vivant dans un monde idéal nourri par la vision de l’imaginaire merveilleux de son époque, dont rendent compte les miniatures magnifiques par leurs enluminures des livres d’heure qu’elle affectionnait.
III. Tempérament et volonté
La douceur des chairs et des communicateurs alliées à ce peu d’aérodynamisme du profil vont avec un rythme tranquille, elle suivait gentiment les directives que les personnes dont elle voulait être aimée lui donnaient, ce que son éducation lui avait enseigné, sans remettre en question leurs biens fondés. Ce n’est pas sa volonté propre, son élan explorateur qui lui donne du dynamisme, mais son besoin de plaire à tous. Elle n’avait pas d’ambition, supportait très mal le conflit et voulait qu’un consensus de fraternité et de charité chrétienne l’entoure. Pas d’autre défi que de suivre ses obligations et ses dévotions le mieux possible. Elle avait certainement peur devant l’inconnu, un très grand besoin de sécurité affective, d’être entourée et rassurée, la religion y contribuant énormément.
Quelles que soient les contraintes de sa position, elle s’y adaptait avec grâce et souplesse, jouait le rôle pour lequel on la préparait. Quel délice pour ses guides et son confesseur. Elle n’osait pas prendre d’initiatives sauf pour plaire, donner des cadeaux. Sa grande générosité vient de là, de l’observance des enseignements de son éducation, surtout religieuse. Elle les a appliqués avec une dévotion filiale soumise, une grande simplicité.
Elle devait cependant être capable de grandes choses, de dépasser ses limites pour accomplir ce qu’elle pensait être son devoir, faire le bien autour d'elle et avoir la conscience tranquille. Elle recherchait une reconnaissance pour sa valeur de femme de foi et d’obéissance.
IV. Vie intellectuelle
Son intelligence, très intuitive, était participative, les rêves et la réalité se mélangeant un peu. Elle était dans la beauté du monde, participant mystiquement avec l’environnement par son sens esthétique qui l'a faisait adhérer à ce qu’elle voyait, et ressentait (dilatation générale, front uniformément rond, grands yeux à fleur de visage, bombé sous le sourcil).
Elle devait avoir une conversation très primesautière, sautant d’un sujet à l‘autre, comme les idées ou plutôt les images se présentent, sa grande mémoire fonctionnant par associations successives, une image en appelant une autre. Elle devait écouter avec bienveillance, disponible et très intéressée par l’autre. Elle devait avoir une excellente mémoire, retenant intégralement ce qui se disait. Cela la rendait certainement encore plus attachante, car elle pouvait restituer les détails d’une conversation ancienne, le contexte et même éventuellement ce que portait la personne.
Il n’y a pas de logique et de raisonnement mais une pensée magique qui croit que les pensées et les prières ont une vraie action sur les autres, que les superstitions sont effectives, il faut conjurer, prier sans cesse pour ne pas subir le mauvais sort.
.Le problème avec cette incapacité à prendre du recul et considérer objectivement ce qui se passe autour d’elle a dû être très douloureuse en cas d’accident ou de traumatisme, car elle n’avait pas de capacité à mettre la vision traumatisante à distance et donc de pouvoir la voir se dissoudre, petit à petit, dans l’oubli. Les visions et sensations traumatisantes continuaient à l’habiter avec la même force persistante.
Bombé traduisant un sens esthétique de la forme
Un sens esthétique très prononcé et une grande imagination la rendaient très sensible à la beauté, du monde ou des objets. On sait à quel point elle fut une mécène, au goût très fin, et, bien sûr, à la grande générosité.
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Jean Pichore, scène de dédicace :
Antoine Dufour offrant son livre à la Reine Anne de Bretagne.
Miniature des Vies de femmes célèbres,
Nantes, Musée Dobrée
Hors Série Histoire N°75
L'Objet d'Ar |
Je déduis de sa participation mystique au monde, une foi simple, pleine de merveilleux. Son imagination et son besoin d’affiliation devaient se retrouver dans sa conception de la divinité, elle devait idéaliser un couple parental. Un père sévère mais bienveillant surveillant son obéissance à ses lois et une mère aimante la rassurant et la consolant du haut du ciel. C'est ce qu'on lui avait sans doute enseigné et cela devait se mélanger aux contes, aux superstitions qu'on lui racontait et aux images magnifiques de ses psautiers. Par contre, je la crois peu capable d’introspection et donc d’une capacité à progresser et à évoluer psychologiquement vers une plus grande maturité que cela soit dans le domaine relationnel ou d'une vision de la spiritualité
V. Conclusion
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Orant d'Anne de Bretagne,
Détail du tombeau d'Anne de Bretagne et Louis XII
Antoine et Jean Juste ou Antoine Regnault. 1516-1520
Basilique Saint Denis |
Cette Duchesse que des militaires prirent pour une paysanne en sabot, comme le dit la chanson, doit certainement sa légende à son caractère doux et généreux, à sa proximité non affectée avec les personnes et à sa foi "de cordonnier", proche de celle de son peuple à cette époque. Duchesse et deux fois reine, elle ne marqua pas son pouvoir par son autorité mais par sa bonté, c'est assez rare pour qu'on la chante encore après 500 ans.
Toutes les photos sont extraites du très beau Hors Série Histoire N°75 sur Anne de Bretagne
L'Objet d'Art
Dans le cadre de l’exposition « Le Cœur d’Anne de Bretagne », Caroline Vrand anime mercredi 10 septembre une conférence à Nantes autour des collections d’art d’Anne de Bretagne. Ouest-France, 2 septembre 2014
Dans le cadre de l’exposition « Le Cœur d’Anne de Bretagne », Caroline Vrand, archiviste paléographe et conservatrice du patrimoine au service des musées de France, propose une conférence autour des collectionsd’art d’Anne de Bretagne.À travers cette conférence, elle fera le point sur l’état actuel des connaissances concernant les collections d’art constituées par Anne de Bretagne : comment se sont-elles constituées ? Quelles sont les pièces qui les composaient ? Et quel usage en fit la reine?
Conférence gratuite, mercredi 10 septembre de 18 h 30 à 20 heures Passage Sainte-Croix – 9, rue de la Bâclerie (quartier Bouffay) à Nantes. Entrée gratuite, dans la limite des places disponibles.
Je vous conseille d'aller sur le site très documenté qui donne toutes les festivités autour de la célébration des 500 ans de la mort d'Anne de Bretagne : http://anne-de-bretagne.net/fr/anne-de-bretagne-1477-1514
Et qui donne une biographie succincte d'Anne que je vous recopie ici.
Héritière…
Anne de Bretagne naît le 25 janvier 1477 dans le château de Nantes alors en pleins travaux. Fille aînée de François II, elle passe ses premières années entre Nantes, Vannes et Clisson. Elle s’initie au latin, à la littérature française et à l’histoire. Elle reçoit également une solide instruction religieuse.
Le temps de l’enfance est bref pour Anne. Très tôt, en effet, son destin est conditionné par les menaces qui pèsent sur le duché breton. Depuis le XIVème siècle, la Bretagne a cherché à s’émanciper du royaume de France. Pour assurer l’avenir du duché, en l’absence d’héritier mâle, le mariage d’Anne devient une question essentielle.
Duchesse à 11 ans (1488-1491)
Anne se retrouve à l’âge de 11 ans à la tête du duché. Avant de mourir, son père a confié sa garde au maréchal de Rieux et à Françoise de Dinan qui voudraient la marier à l’un de leurs parents, Alain d’Albret, qui a mené des mercenaires en Bretagne depuis 1487. Anne n’est pas d’accord et le gouvernement breton divisé doit faire face à la reprise des hostilités avec Charles VIII. Pour sortir de son isolement, Anne doit trouver un époux qui puisse l’aider à défendre ses droits.
Reine de France pour la première fois
La construction du château de Langeais débuta en 1465 à la demande de Louis XI. Jean Bourré, capitaine de Langeais, en dirigea la construction et Jean Briçonnet, général des finances et maire de Tours, fut commis au paiement des travaux de 1465 à 1467.
C’est donc dans un monument médiéval récemment terminé qu’eut lieu le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne. Les jeunes époux avaient respectivement 21 et presque 15 ans. Cet événement est un épisode important dans le processus qui devait aboutir au rattachement du duché de Bretagne au royaume de France.
A la suite de jeux d’alliances complexes concernant les cours d’Angleterre et d’Autriche notamment, et sous la pression de leur entourage respectif, Anne et Charles VIII acceptent finalement un mariage de raison, qui est donc célébré à Langeais le 6 décembre 1491. Le roi impose ses conditions à la duchesse dans le contrat signé à l’occasion du mariage : tout est mis en place pour préparer une union de la Bretagne à la France.
L’union avec Charles VIII (1492-1498)
Le 8 février 1492, Anne décrite alors comme « petite, maigre de sa personne, boiteuse d’un pied et d’une façon sensible, brunette et jolie de visage, et pour son âge fort rusée », est couronnée et sacrée dans la basilique Saint-Denis : elle est la première reine à bénéficier d’un tel traitement. Mais elle est soumise à la puissance de son mari, qui est seul habilité à administrer ses biens. Vivant entre Amboise principalement, Paris et Lyon, elle donne naissance à cinq enfants entre 1492 et 1496. Tous meurent en bas âge.
Quand Charles VIII décède au château d’Amboise le 7 avril 1498, Anne, qui est alors âgée de 21 ans, est donc sans enfant et elle redevient pleinement duchesse.
A nouveau pleinement Duchesse
Elle rétablit la Chancellerie de Bretagne que Charles VIII avait supprimé en 1493. Elle choisit de porter le deuil en noir selon l’usage breton alors que c’est le blanc qui était de tradition à la cour de France. Anne de Bretagne retrouve les revenus de son duché et le train de vie de sa « maison » devient luxueux. Lors de sa venue en Bretagne à l’automne 1498, elle fait don à la population du deuxième terme de l’impôt et fait battre monnaie d’or à son nom.
Reine pour la seconde fois
Ayant réaffirmé son autorité sur le duché de Bretagne après le décès de Charles VIII, Anne peut négocier les conditions de son mariage avec le nouveau roi de France, Louis XII. Lors de la cérémonie qui est célébrée à Nantes dans le château qui l’a vue naître le 8 janvier 1499, elle obtient la rédaction d’un contrat qui redéfinit les relations entre la Bretagne et la France. Elle s’y réserve de son vivant la jouissance du duché et prévoit qu’après sa mort, celui-ci reviendra à son second enfant mâle et non à l’aîné.
À partir de 1499, Anne réside le plus souvent au château de Blois, disposant d’une grande maison de 300 personnes, d’une garde personnelle de gentilshommes de Bretagne, donne de l’éclat à son statut de reine. Mécène, elle est dépeinte comme une reine vertueuse, modèle d’attachement conjugal.
Duchesse, reine, mécène, une femme d’exception
Tout en étant reine de France, Anne assume ses fonctions de duchesse. Elle nomme les officiers, gère le domaine et intervient pour maintenir les institutions en activité, qu’il s’agisse de la chancellerie ou de la chambre des comptes.
Elle dispose d’une grande partie des revenus du duché et fait édifier par Michel Colombe dans l’église des Carmes de Nantes un tombeau pour son père François II et sa mère Marguerite de Foix.
Elle accomplit, de juin à septembre 1505, un tour du duché de Bretagne qui est l’occasion d’une rencontre avec ses sujets et constitue le dernier acte politique de son règne. Anne meurt le 9 janvier 1514 à l’âge de 37 ans ; son corps est inhumé à Saint-Denis alors que son cœur est déposé à l’église des Carmes de Nantes. Cette double sépulture, qui était ordinaire pour les princes de l’époque, devient, avec le temps, le symbole d’une vie partagée entre la Bretagne et la France.