par Louis Corman et Carleen Binet
Madame Annette Roux est P.D.G. de
l'entreprise Bénéteau, de construction de bateaux de plaisance,
entreprise dont, par son dynamisme, elle a fait la première entreprise
mondiale.
Le visage d'Annette Roux frappe dès le premier regard par des
traits bien particuliers qui, pour un morphopsychologue, indiquent une
personnalité originale en plus d'un point.
Le premier de ces traits (qui ne peut manquer d'être sensible à
un observateur même ignorant de morphopsychologie) est le contraste
saisissant entre un cadre de visage massif et des récepteurs sensoriels
(bouche, nez, yeux) d'une grande finesse.
De ce cadre se déduit une vitalité puissante, aspirant à se
réaliser dans des actions d'une grande vigueur, avec une volonté
farouche de parvenir à ses buts par tous les moyens. Mais la finesse des
récepteurs indique que cette force, massive à son origine, se plie à
des choix, se civilise, s'adapte aux conditions humaines où elle doit
s'exercer, ce qui peut aller jusqu'à une grande délicatesse dans les
sentiments et les relations avec autrui.
On peut se demander comment ces deux manières d'être opposées se
concilient dans la pratique. Nous pensons que la délicatesse dans les
rapports sociaux, appuyée par un dessein volontaire de courtoisie, sert à
une première approche des problèmes, puisque les récepteurs sensoriels
constituent la zone des échanges, celle qui entre en jeu d'abord dans
une relation, qu'elle soit commerciale ou familière. Mais cependant,
cela n'entrave en rien la volonté profonde, celle qui émane du cadre,
qui n'est pas du tout déviée des buts fixés au départ. On pourrait dire,
plus brièvement, qu'Annette Roux, dans son premier mouvement, cherche à
séduire, mais que son intention profonde est de conquérir (fig. 1 et
2).
Il est une autre interprétation de ce contraste entre le grand et
le petit visages. C'est que tout se passe comme si la puissante
vitalité du cadre, pareille à la puissance d'une source au flux
abondant, était contrainte, par l'étroitesse des récepteurs, à son
émergence au plan de l'action, de se canaliser dans une voie étroite. On
sait qu'en pareil cas, la puissance du flux s'en trouve accrue et donne
à l'impact momentané une force de pénétration particulièrement intense.
Ce que nous venons de dire concerne la vie extérieure, celle des
réalisations. Mais il faut aussi considérer que le contraste entre le
grand et le petit visages n'est pas sans pouvoir engendrer des conflits
intérieurs, de par le fait que le sujet est alors tiraillé entre la
volonté de parvenir au but "à la force du poignet", et le désir de
ménager la sensibilité des autres. Le problème est ici de savoir si ce
conflit intérieur est ou non résolu par une conciliation entre les deux
tendances.
Nous pouvons présumer que oui, en considérant que le visage
d'Annette Roux est un visage "qui se tient", qui manifeste tant dans sa
structure que dans son expression mimique un excellent équilibre.

Le
second trait à noter dans ce visage est sa remarquable tonicité. On
sait que les visages courts, lorsqu'ils ont de surcroît un modelé ferme,
indiquent une grande capacité d'action réalisatrice. C'est le cas
d'Annette Roux, qui est dotée d'une très grande énergie active, qui est
mue par un besoin impérieux d'agir, de réaliser ses desseins. Nous
notons en outre que cette tonicité du modelé se double de traits qui
sont la signature d'un tempérament passionné. D'une part, les contours
du visage sont faits de saillies et de creux, constituant un modelé que
la morphopsychologie dénomme "rétracté-bossué" et qu'elle considère
comme caractéristique d'un flux vital intense. D'autre part, et ceci se
voit surtout sur le profil, toutes les lignes sont inclinées : le nez
fait saillie, les oreilles sont très obliques, le front s'incline en
arrière, et la même obliquité se retrouve dans les yeux et les sourcils ;
cela indique une grande combativité, l'ardeur impétueuse d'un arc
constamment tendu pour lancer la flèche vers le but, ce que les tenants
de la méthode dite "planétaire" disent être caractéristique du Type
Mars, le dieu de la guerre. Fait rare chez une femme, il n'y a dans ce
visage aucun signe d'atonie, même discret, et cela nous indique que la
passion pousse constamment Annette Roux en avant, sans que jamais se
manifeste un désir de retour en arrière, fût-il momentané. Elle est de
ceux qui pensent qu'on doit toujours progresser, aller plus loin, que,
dans toute entreprise, le statu quo, le seul maintien des positions déjà
acquises est dangereux, en tant qu'il comporte fatalement le risque
d'un déclin proche.

Le
troisième trait marquant est la dominante de l'étage affectif, signalée
en premier lieu par la grande largeur et la puissance des pommettes,
qui indiquent de grandes exigences affectives. En second lieu, cette
dominante se marque dans la structure du nez : non pas que celui-ci soit
grand ; il est au contraire plutôt petit, mais il se projette nettement
en avant, faisant saillie sur le profil, et si sa racine est plutôt
étroite, en revanche sa base est large, avec des narines très ouvertes
et des ailes vibrantes, tous signes qui révèlent une vitalité affective
intense, une grande promptitude à réagir aux impressions affectives. Le
dos du nez, de surcroît, est droit, bien que sous certaines incidences,
il puisse paraître très légèrement aquilin ; mais, de toute façons, sa
plongée en avant, pleine de hardiesse, indique qu'il y a à ce niveau peu
de frein à l'impétuosité naturelle.
Le quatrième trait est la puissance terrienne de la mandibule,
aux angles massifs, avec toutefois une tendance à l'amenuisement du
menton, lequel, s'ajoutant à la finesse des lèvres, nous ramène au
contraste initial cadre-récepteurs. Nous pourrions presque parler d'une
"mâchoire de condottière", signe d'une forte composante virile dans ce
visage féminin, se traduisant par la grande fougue combattive déjà
soulignée plus haut. Tous les instincts, chez Annette Roux, sont forts,
mais il convient de remarquer que, lorsque le modelé de cette zone est
très tonique, et que de surcroît les lèvres sont fines, l'instinct de
jouissance cède la place à l'instinct de réalisation, à l'ambition d'un
but.
Quand une personne est nantie d'une mâchoire aussi ambitieuse, le
problème se pose alors de savoir si elle possède les capacités de son
ambition, ou si cette ambition risque d'œuvrer à vide parce que non
appuyée par les aptitudes qu'indique la structure d'ensemble du visage.
Bien entendu, nous savons, par les réalisations effectives de la P.D.G.
de l'entreprise Bénéteau, qu'Annette Roux a bien les capacités de son
ambition. Mais l'étude morphologique nous en apporte une preuve
supplémentaire, en même temps qu'elle nous explique par quelle voie
cette ambition opère. Il nous faut pour cela examiner la structure de
l'étage cérébral. Il est moins développé que les deux autres étages. Le
front est-de dimensions moyennes. De face, il n'est pas très large,
étant nettement limité par le méplat des tempes, ce qui indique une
tendance à la spécialisation de la pensée. De profil, il est nettement
incliné, à partir de la sailie des bosses sourcilières, qui sont fortes
pour une femme, indiquant un mode de pensée de type terrien.(comme la
mandibule), donc attaché aux objets matériels et particulièrement apte à
l'observation concrète des faits. Au-dessus de ces bosses, le front à
des contours vigoureux marqués de méplats, qui indiquent une pensée
active, toujours orientée vers des réalisations immédiates. Ce n'est pas
un front d'intellectuelle, de personne intéressée par les études
livresques ; elle est peu ouverte à une grande étendue de savoir. Sa
structure indique une pensée primesautière, un don de perception rapide
et d'improvisation, bien plus que de calcul et de réflexion approfondie.
D'ailleurs, la forte prédominance instinctive-affective nous révèle que
la pensée est sous la dépendance des motivations affectives et de
l'ambition de réalisation. Elle n'est donc pas autonome ; mais cependant
la partie haute du front, échappant à l'étau des tempes, amorce un
arrondi et s'évase, de sorte qu'on ne saurait refuser à cette
hyperactive une certaine possibilité imaginative; est-ce dans le domaine
de sa réalisation majeure, de son activité industrielle ou bien hors de
ce domaine? Il est difficile de le dire, mais le fait que les cheveux
cernent de très près cette zone imaginative, l'empêchant de se déployer
librement, nous paraît indiquer qu'Annette Roux est toujours ramenée au
plan de l'action par une sorte de contrainte intérieure qui lui interdit
le rêve, le farniente, ce qui va bien entendu dans le même sens que
toutes les puissances d'action déjà signalées.
Le dynamisme de la pensée, le jaillissement spontané des
improvisations, la promptitude des décisions pourraient être ici un
obstacle à un programme d'action organisée. Annette Roux en est
consciente, et nous notons qu'une certaine capacité de réflexion, de
concentration existent cependant chez elle, notamment dans la structure
abritée des yeux (en conflit avec la structure du front), et dans la
ride verticale de concentration qui se dessine entre les deux sourcils,
indiquant qu'il est parfois fait appel à un effort volontaire pour
corriger la fougue naturelle, effort encore appuyée par la forte
contraction des paupières, cernant l'œil de très près et lui conférant
cette acuité percutante, qui est un des traits marquants de la
personnalité d'Annette Roux.
Quand on étudie la personnalité d'un homme ou d'une femme de
valeur, remarquable par son efficacité, on a coutume de ne souligner que
les aptitudes marquantes, les points forts, et de passer sous silence
les points faibles. Mais c'est à tort, car la morphopsychologie nous
enseigne que la force d'une personnalité est le plus souvent le résultat
de puissants antagonismes. ainsi, chez Annette Roux, la puissante
vitalité et le dynamisme qui fournit l'élan en avant, la possibilité de
faire face aux à-coups, a pour rançon, de par la rapidité même de
l'improvisation, une certaine difficulté à se concentrer, à faire des
plans à l'avance, à s'organiser méthodiquement. Cette même vitalité se
traduit sur le plan affectif par une puissante motivation affective à
l'action et une grande capacité d'entraînement pour les collaborateurs
de l'entreprise, ce qui entraîne une tension conti,nue dans l'effort,
puissant facteur d'efficacité, à coup sûr, mais en même temps risque de
surmenage, appelant en compensation un besoin impérieux de détente.
Il faut aussi souligner l'exigence pragmatique de l'intelligence,
toute entière tournée vers les réalisations concrètes, moins apte en
revanche aux efforts de pensée soutenus, et l'on peut ici se demander si
la tension constante de la direction des affaires ne doit pas trouver
chez Annette Roux sa compensation dans une activité manuelle pratique,
la structure de son visage indiquant des dons d'adresse manuelle qui
peuvent beaucoup, par leur emploi, contribuer à équilibrer la
personnalité.
En conclusion, on voit par notre étude que le grand intérêt de la
science morphopsychologique est de saisir à leur source les tendances
profondes qui dirigent le destin d'un être. Et dès que l'on a affaire à
une personnalité marquante, comme dans le cas d'Annette Roux, on
constate que la réalisation d'une oeuvre d'importance est en général le
fait de puissants antagonismes intérieurs. Dans ce sens, on a souvent
souligné que les hommes de valeur ont dans leur personnalité une
composante féminine, laquelle leur apporte des capacités qu'ils
n'auraient pas sans cela. De même, il est manifeste que, chez une femme,
une composante masculine, bien loin de constituer un handicap,
représente, en s'ajoutant aux qualités proprement féminines, un appoint
de dynamisme réalisateur qui peut être précieux. Mais c'est à la
condition que ces tendances antagonistes ne provoquent pas dans la
personnalité un déséquilibre, donc qu'elles soient intégrées, comme nous
l'avons vu chez Annette Roux, dans un ensemble qui se tient, par la
vertu d'un mystérieux ciment intérieur.